I

L’herbe est râpée, l’alpage, usé au point de lâcher.

Des arêtes percent et des moignons, des dents.

A ces confins se terrent encore de précaires abris ; dans les
cailloux, des moutons paissent.

Plus que de rares lichens.

Plus d’herbe, bien que s’enhardisse un papillon trompé par
la chaleur de midi.

II

L’Un est décombres, lave, bave, monceaux, coulées, dévale-
ment.

Pics, rochers en leur vigueur même, aigus, agressifs, promet-
tent ruine.

Montagne en cendres, en loques.

Vomi, moisissure, guenilles, tout-à-l’égout.

Qu’aurait fractionné l’ombre.

Terni (mais le gris ne l’éteint).

Rouillé.

Qui s’est brisé, crocs, crache, cassures, riens.

En tas, amassé là, amoncelé.

S’est bitumé, taché, piqué, tronqué.

Montagne rebutée ; tirée en bas, délitée, démolie.

Cailloux, caillasse, quartiers de granit, de gneiss inégaux,
uniformes, piranésiens, forment dépôt.

Pêle-mêle, prodigieusement, se chevauchent.

En vrac, prodigieusement : carie, angles vifs, feuilles friables,
débris, déchets.

Tranchants.

Au demeurant, chair vive, écrabouillée.

Diarrhée tout aussi bien.

Une hémorragie, une déménagée, et rien à dire.

Arêtes, amalgame, cris.

Craquelures.

Torrents brandis comme torches, fissures de lumière, glacier
vert-de-grisé qui se dressent, se déchaînent.

(Ce dédale, ce dépotoir.)

Qui s’effritent, muets, immobiles, tempétueusement s’effon-
drent.

Cloaque, déjection ; un lit de poussière.

Montagne annulée.

Pyramidal océan de silence où parcelle, particule ne bronche.

Toute action antérieure.

L’instable, l’instable tient tout.

III

Moindre, le sentier perdu, perdu, retrouvé, perdu.

Plus haut, là où la glace est une mer entourant des récifs…

Des pistes s’y noient, toujours refaites selon un chemine-
ment juste, ancestral.

Plus haut seulement.

Absolu miroir.

Dans le demi-jour pluvieux du retour, de grandes dalles
mouillées y répondent.

Vitres en éclats, avant la nuit.

—1983

PIERRE CHAPPUIS, Éboulis et autres poèmes
(Éditions Empreintes, Poche Poésie 21, Moudon, © 2005)
REPRINTED WITH THE AUTHOR’S PERMISSION

I

The grass is grated, the alpine pasture, worn out, slackened.

Ridges have pierced through, and stumps, teeth.

In these limits, flimsy sheds are still burrowed; sheep are
grazing upon the gravel.

Nothing but rare linden.

No longer grass, though a butterfly, emboldened, ventures forth, tricked
by noon-heat.

II

The One is rubble, lava, spittle, heaps, flows, down-
rushing.

Peaks, rocks in their full force there, sharp, relentless,
promising ruin.

Mountain in ashes, in rags.

Vomit, mildew, tatters, sewage.

That the shadow would have split.

Tarnished (but not faded by the gray).

Rusted.

That shattered itself, fangs, spittle, splits, nothings.

In heaps, amassed there, gathered.

That asphalted itself, stained, pocked, truncated.

Mountain repulsed; drawn down, flaked, demolished.

Pebbles, strewn stones, blocks of granite, of uneven gneiss,
uniform, piranesian, forming residue.

Pell-mell, prodigiously, overlapping.

Jumbled, prodigiously : cavity, sharp angles, crumbly leaves,
remains, refuse.

Cuttings.

For all that, raw flesh, flattened.

And just as well, diarrhea.

A hemorrhage, a spewing, and nothing to say.

Ridges, medley, cries.

Craquelures.

Torrents brandished like torches, fissures of light, grayish green
glacier, rearing up and unleashing.

(This maze, this dumping ground.)

That crumble away, mute, motionless, are tempestuously col-
lapsing.

Cesspool, dejecta; a dust-strewn bed.

Mountain voided.

Pyramidal ocean of silence where no fragment, no particle falters.

All action, previous.

The unsteady, the unsteady holds it all.

III

Lower, the lost path, lost, found again, lost.

Further up, where the ice is a sea surrounding reefs…

Tracks drown themselves there, unceasingly recovered in accord with a
proper, ancestral progression.

Even further up.

Absolute mirror.

In the rainy half-light of return, large soaked
slabs respond back.

Glass in smithereens, before night falls.

—1983