Préludes et fuges, Cycle D / Preludes and Fugues, Cycle D
Prélude 1
On la videra morceau par morceau
mais la masse de rouille ne s’en va pas au feu !
J’ai mis mon sang sur le roc nu
il n’y a même plus de sang au rebut
que l’épée frappe —
c’est l’épée des morts
ou la grande épée des morts
ils ont poussé le cri de guerre
ils ont placé des béliers
avant le grand chancellement
tu t’écroules et tu étais une génisse magnifique
tu n’as pas eu le temps de préparer ton paquet
soldat nourri de fer dont la rouille ne sera plus ôtée !
Rebut de tout bois
plus de sang au rebut
rebut du bronze sur le bois amoncelé
avant l’écroulement
que soit cuit le malheur
moi aussi j’ai parlé
et consumé la rouille morceau par morceau
rassembles-y encore des morceaux
contre la porte — sanguinaire !
Fugue 1
La grande épée des morts …
le vent d’Orient t’a brisée
au coeur des mers
tes marins et tes matelots
et tous les hommes de guerre et tous les passagers
vont couler au coeur des mers
la canne et le roseau
l’or et la laine
ont coulé avec toi
le vent te fait tressaillir
comme à l’heure de la chute
— on n’entend plus les oiseaux
qu’un mot s’effrite alors
il laisse un trou pour seule trace
bien vite abandonné
il n’y aura plus de traces rugit le jour venteux
qui pensera encore à la sensualité des ombres ?
Disparu des mers
le vent fait tressaillir les îles à l’horizon
à l’heure de la chute
conduite en haute mer
le vent t’a brisée
tu as dit : « Je suis en Dieu »
à la face de tes meurtriers
tu t’es fait un coeur semblable au coeur de Dieu
Prélude 2
Justice de No — la multitude de No — on ouvre la brèche à No —
les eaux se répandent parmi les nuages
fureur sur Sîn
que les eaux ont fait croître l’abîme l’a fait grandir
à cause des eaux abondantes qui la faisaient croître
— elle était belle dans sa grandeur
l’une et l’autre tels des arbres
plus élevés que tous les arbres de la campagne
dans leurs branches nichaient tous les oiseaux du ciel
à leur ombre s’asseyaient un grand nombre de gens —
elles étaient belles dans leur grandeur
et le déploiement de leurs branches
leurs racines se tendaient vers des eaux abondantes
les cèdres ne les égalaient pas au jardin de Dieu
les cyprès n’étaient pas comparables à leurs branches
les platanes n’étaient pas semblables à leurs rameaux
aucun arbre au jardin de Dieu ne les égalait en beauté
elles étaient enviées de tous les arbres du jardin de Dieu
leurs surgeons s’étaient multipliés leurs rameaux s’étendaient
fureur sur la forteresse feu aux villes
le jour deviendra ténèbres
jeunes gens de No et On
feu à Çoân
sous la grande épée des morts …
Fugue 2
Avec ceux qui descendent …
ils sont descendus
avec les filles des nations
avec toute la multitude
descendus
avec leurs tombeaux
avec les incirconcis
parmi les victimes de l’épée
multitude victime de la grande épée
— Pharaon et toute son armée —
à la vue de toute cette multitude
quand j’ai étendu mon filet
comme il troublait les flots
parmi l’écume lumineuse !
Prélude 3
C’était l’hiver : le coeur à nouveau s’enténébrait
il n’y avait aucun brouillard qui ne cachait aux uns et aux autres la vérité
les loups poussaient leur cri d’amertume
et la lune avait gelé dans les mares …
quand on retrouvait une des brebis égarées
le coeur se serrait
faute de bergeries
tant de fois réduit aux ténèbres
et saisi par le froid
qui se souvenait des pasteurs ?
Le ciel même semblait n’en conserver mémoire
mais qu’un vol de cygnes vienne à passer
alors soufflait comme un parfum descendu de l’arc bleu
les épaules se redressaient
c’était encore l’hiver
le givre répandait son éclat désolé
souvent les heures de marche
pacage après pacage
ne donnaient rien qu’un immense espoir crevé
le guetteur n’y voyait plus
celui qui l’avait placé là
se cachait suivant la véritable nature du temps
Fugue 3
Dans ses homélies sur Ézéchiel Grégoire le Grand écrit
que les livres divins indiquent parfois le temps parfois le lieu
pour signifier des réalités profondes qu’ils n’expriment pas en clair
divine eloquia aliquando ex tempore aliquando ex loco
causas designant quas aperto semone non indicant
Hiemes erat : c’était l’hiver
ainsi est révélé le froid du coeur (frigus cordis)
loin des piliers et des voûtes des cours des porches des galeries
là où les plaisirs remplaçaient l’adoration
simples et enfantins
c’était aussi l’hiver
un passé fondu dans un autre
en dépit de toutes les distances
la buée des créatures la lumière blanche
maintiendraient attachées deux nacelles
traversant le ciel au gré des vents …
les rires remplaceraient les jurons
issus d’une même neige recueillie sur les toits et les branchages
Prélude 4
Sors dans la plaine où maint voyageur leva la tête
au croassement des grues qui passaient là
comment en cette vie — te demanderas-tu —
te défaire des liens de la mortalité ?
Tu penseras: « Je suis aux fers »
au-dessus de toi les nuages traceront de blancs chemins
au milieu de l’azur
aucun compagnon ne croisera ta route
et pourtant cette plaine est vaste comme le monde !
Les oiseaux du ciel auront laissé leur ombre au-dessus des chemins du monde
ici maint et main voyageur leva la tête
avant de repartir entre les carrés de blé de terre ou de neige
ombre solitaire sous une nuée criante
ombre muette
comment trancher les noeuds de la mort
en ce vaste monde
qui est comme une plaine où on s’entend appeler
fût-ce par un gémissement
un croassement dans la nuée
ombre — flamme — ombre
lève-toi et sors
peut-être que je te parlerai
et je me levais et sortis dans la plaine…
Fugue 4
Certains sont venus de loin
bien au-delà des plaines
ils ont des hauts faits de chevaliers plein la langue
tu les entends sous la voûte noircie d’une taverne
tu en oublies la question lancinante
née sur le chemin
entre les blés et la forêt
tu les écoutes …
redevenu l’enfant au bas bout de la table
qui tend le cou pour ne rien perdre du récit
qui lève la tête
tel main voyageur au croassement des grues
des pleurs peut-être sur tant de congénères …
la viande refroidissait dans l’assiette
mais le coeur en flammes
tu te rêvais héros au-delà de la plaine …
Prelude 1
It will be emptied bit by bit
but fire won’t cleanse that mass of rust!
I put my blood on the naked rock
there was no blood left on the wood scraps
let the sword smite —
it is the great sword of the dead
they let out a war cry
they lay out rams for sacrifice
before the great trembling
you collapse and you were a splendid heifer
you did not have time to pack your bags
iron-fed soldier whose rust will not be removed
cast-off of all wood
no blood on the scrap
cast-off bronze on the woodpile
before the collapse
misfortune be damned
I also have spoken
and eaten the rust bit by bit
go gather up the scraps still there
by the door — bloodthirsty!
Fugue 1
Great sword of the dead…
the wind from the Orient broke you
on the sea’s breast
your seamen and sailors
and all the men of war and all the passengers
will flow in the sea’s breast
gold and wool
flowed with you
the wind made you shiver
as you did at the hour of the fall
— the birds can no longer be heard
if a word crumbles away
it leaves a hole as its sole trace
quickly abandoned
there will be no more traces roars the windy day
who will still remember the sensuality of shadows?
Gone now from the seas
the wind makes islands shiver on the horizon
at the hour of the fall
taken onto the high seas
the wind broke you
you declared “I am with God”
to your murderers’ faces
you made yourself into a heart like the heart of God.
Prelude 2
Justice of the No — the multitude of No — the line is breached at No —
the waters spill out among the clouds
rage against Sîn
for the waters have increased the abyss have enlarged it
because of the abundant waters that made it grow
— it was beautiful in its greatness
the one and the other like trees
higher than all the trees in the countryside
in their branches nested all the birds of the air
in their shade were seated a great number of people —
they were beautiful in their greatness
and the deployment of their branches
their roots reached down towards abundant waters
the cedars of God’s garden did not equal them
the cypress could not be compared to their branches
the plane trees were less than their underbrush
no tree in God’s garden equaled them in beauty
they were envied by all the trees in God’s garden
their leaf buds mutiplied their branches spread
rage against the fortress set fire to the cities
the day will become darkness
young men of No and On
put Çoân to the flames
beneath the great sword of the dead
Fugue 2
With those who went down….
they went down
with the daughters of nations
with all the multitude
went down
with their tombs
with the uncircumcised
among the victims of the sword
multitude victim of the great sword
— Pharaoh and all his army —
within the sight of all that multitude
when I spread my net
how it troubled the waters
amidst the luminous foam!
Prelude 3
It was winter: our hearts darkened once more
no fog that didn’t hide the truth from these and those
wolves raised their bitter cry
and the moon had frozen in the ponds…
when one of the strayed ewes was found
our hearts clenched
without sheepfolds
so often reduced to darkness
gripped by the cold
who remembered shepherds?
Even the sky seemed to have forgotten them
but if a flock of swans in flight passed
exhaled like a perfume come from its blue arch
our shoulders straightened
it was still winter
frost spread its desolate glare
often our hours of walking
pasture after pasture
gave nothing but a huge slashed hope
the lookout no longer saw
the one who had stationed him there
he hid according to the season’s nature
Fugue 3
In his homilies on Ezekiel Gregory the Great wrote
that holy books sometimes indicate the time sometimes the place
to point to truths they don’t state outright
divine eloquia aliquando ex tempore aliquando ex loco
causas designant quas aperto semone non indicant
Hiemes erat: it was winter
thus the heart’s cold is revealed (frigus cordis)
far from pillars vaults cloisters porches galleries
there where adoration is replaced by simple
childlike pleasures
it was also winter
one past melted into another
despite all distances
the beasts’ steaming breath and the white light
kept two balloon gondolas attached
crossing the sky at the wind’s whim
laughter replaced swearing
come from the same snow gathered from roofs and fallen branches
Prelude 4
Go out onto the plain where many a traveller raised his head
at the cawing of cranes as they flew by
how can you in this life – you will ask yourself –
undo the bonds of mortality ?
You will think « I am in chains »
above you clouds will trace white paths
amidst the azure
no companion will cross your path
and yet this plain is wide as the world!
The birds of the sky will have cast their shadow on the roads of the world
here many and many a traveller raised his head
before going on between the squares of wheat of earth of snow
solitary shadow beneath a glaring cloudbank
mute shadow
how to sever death’s knots
in this vast world
which is like a plain where you hears yourself called
even by a moaning
a cawing in the clouds
shadow – flame – shadow
arise and go
perhaps I will speak to you
and I arose and went out on the plain…
Fugue 4
Some came from far off
well beyond the plains
they have knights’ bold deeds on the tip of their tongues
you hear them beneath an inn’s blackened vaults
you forget the nagging question
born on the road
from the fields to the forest
you listen to them…
a child once again down at the end of the table
who stretches his neck to miss not a word of the story
who raises his head
like many a traveller at the cawing of the cranes
who weeps perhaps for so many of his fellows
the meat was cooling on the platter
but with your heart aflame
you imagined yourself a hero beyond the plain…
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