Pierre-Albert Jourdan: Les Sandales de paille / The Straw Sandals
Note du traducteur
PIERRE-ALBERT JOURDAN (1924-1981) est depuis longtemps l’un des secrets les mieux gardés de la littérature française. D’importants poètes français — René Char, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy, Jacques Réda, Lorand Gaspar, Paul de Roux et Anne Perrier — ont admiré son oeuvre poétique à la fin de sa vie si tôt interrompue. Aujourd’hui, quelques poètes plus jeunes le lisent et l’estiment à leur tour. Cependant, Pierre-Albert Jourdan n’a pas encore reçu l’attention critique qu’il mérite en France et à l’étranger. Y aurait-il pourtant quelques signes annonçant la fin de ce relatif manque d’intérêt ? En effet, Élodie Meunier a récemment soutenu une excellente thèse de doctorat (Pierre-Albert Jourdan, l’écriture comme ascèse spirituelle) à l’Université Lyon 2, et cette chercheuse (qui est également sculpteur) a créé un site détaillé sur l’œuvre du poète. Un numéro spécial de la revue Europe fut consacré à Pierre-Albert Jourdan en mars 2007.
Pour ma part, je me suis engagé dans la traduction d’un grand choix de ses textes. Je mets l’importance sur ses aphorismes, ses pensées lapidaires, ses poèmes en prose et les autres formes de « prose poétique » qu’il employait dans ses dernières années. Avec leur remarquable résonance philosophique, ces « fragments » (comme il les appelait modestement) sont souvent consacrés aux paysages des alentours du village de Caromb (dans le Vaucluse), où le Mont Ventoux se dresse en arrière-plan.
Une certaine logique se dessine quant au destin littéraire de Pierre-Albert Jourdan, qui est celui d’occuper une place discrète mais durable dans la littérature française ; et cette présence promet d’inspirer d’autres écrivains à l’avenir. Ses écrits ont été le plus souvent motivés par des perceptions-éclairs aussitôt consignées dans ses cahiers, et non par des projets précis pour achever un manuscrit et le soumettre à un éditeur. Cette sensibilité particulière, à laquelle s’ajoute une philosophie personnelle influencée par la pensée orientale, a induit et justifié les formes littéraires courtes et spontanées dans lesquelles Pierre-Albert Jourdan s’exprime le plus souvent.
À sa mort, des manuscrits entiers étaient restés inédits. L’éditeur surréaliste, José Corti, avait publié sa première suite de poèmes et de proses courtes, La Langue des fumées, en 1961. Mais après ce début prometteur, Pierre-Albert Jourdan avait plutôt l’habitude d’imprimer lui-même certains de ses poèmes ou de ses « notes » (un autre de ses termes préférés), les distribuant — comme le faisait le poète grec Constantin Cavafy — à ses amis. S’il correspondait avec de nombreux poètes, en connaissait d’autres par le biais de La Traverse (la revue de Paul de Roux) et était un ami intime de René Char dès 1957, il n’aimait pas se mettre en avant. Il passait une grande partie de son temps libre à publier les poèmes de ses amis dans sa propre revue, Port-des-Singes, dont neuf numéros sont sortis entre 1974 et 1982. Il ne participait à aucun milieu littéraire à Paris, où il travaillait comme cadre dans la Société mutualiste des transports publics, ni dans sa Provence natale où il passait ses vacances.
Ceci étant, beaucoup de poètes se sentiraient chanceux et honorés si le Mercure de France avait regroupé presque tous leurs inédits et écrits peu connus dans deux volumes magistraux, comme c’est le cas pour Les Sandales de paille (1987) et Le Bonjour et l’adieu (1991). Une certaine logique se dessine quant au destin littéraire de Pierre-Albert Jourdan, qui est celui d’occuper une place discrète mais durable dans la littérature française…
Édités par un poète plus jeune, Yves Leclair, ces deux livres ont été préfacés respectivement par Yves Bonnefoy et Philippe Jaccottet. Le deuxième volume présente principalement les vers et les poèmes en prose de Pierre-Albert Jourdan, tandis que le premier comprend, outre de nombreux inédits essentiels, les trois autres livres qui ont vu le jour avant sa mort : Fragments (1979), L’Angle mort (1980) et L’Entrée dans le jardin (1981).
L’échantillon présenté ici appartient aux Sandales de paille : Notes 1980, un journal-cahier que le poète tient pendant toute l’année 1980 et dont le titre sera réemployé comme titre général pour le premier volume des œuvres complètes. Pierre-Albert Jourdan commence un nouveau journal en janvier 1981, puis l’arrête brusquement vers la mi-avril quand un cancer du poumon est diagnostiqué. Son dernier livre, L’Approche, est également un journal-cahier ; il offre un témoignage émouvant de ses derniers mois. Ce livre s’achève avec une question que le poète formule quelques heures avant de mourir le 13 septembre 1981: « Par grandes lacérations du paysage ? »
Translator’s Note
PIERRE-ALBERT JOURDAN (1924-1981) has long been one of the best-kept secrets of French literature. Admired by leading lights among his contemporaries — René Char, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy, Jacques Réda, Lorand Gaspar, Paul de Roux and Anne Perrier — at the end of his too-short life, Jourdan is now highly regarded by a select group of younger French poets. Yet he has not received the broader critical attention that he deserves in France, let alone abroad. Or is this relative neglect perhaps changing? An excellent doctoral thesis (Pierre-Albert Jourdan : l’écriture comme ascèse spirituelle) has now been written by Élodie Meunier at the University of Lyon 2, and the same scholar (also a sculptor) has constructed a richly informative website concerning the poet’s oeuvre. A special issue of Europe focused on Pierre-Albert Jourdan’s work also appeared in March 2007.
I am translating a major selection of his work, highlighting the thought-provoking aphorisms, musings, prose poems and various other genres of short “poetic prose” that he wrote during his last years. Noted for their philosophical resonance, these “fragments,” as he modestly called them, often focus on the landscapes surrounding the Vaucluse village of Caromb, with Mount Ventoux as a backdrop.
There is an inherent logic in Jourdan’s literary destiny. It can be described as a discreet, yet lasting and inspiring, presence in French literature. His writing was much more often sparked by flashes of insight recorded in notebooks than motivated by methodical plans for completing manuscripts and submitting them to publishers. This particular sensibility, combined with a philosophical vantage point that was influenced by Eastern thought, at once induced and justified the short and spontaneous literary forms in which much of his work was expressed.
Upon his death, book-length manuscripts remained unpublished. His first sequence of poems and short poetic prose, La Langue des fumées (The Language of Rising Smoke), was published by the famous Surrealist press, José Corti, in 1961. But after this seemingly flourishing start, Jourdan tended only to print some of his poems or “notes” (his other favorite term), distributing them occasionally — somewhat in the manner of the Greek poet C. P. Cavafy — to his friends. And even if he corresponded with numerous poets, meeting some of them through de Roux’s magazine La Traverse, and befriending Char as early as 1957, he was a self-effacing man. Nonetheless, he spent a generous share of his spare time publishing the work of his friends in his own excellent review, Port-des-Singes, which featured nine issues from 1974 to 1982. He otherwise belonged to no active literary community in Paris, where he earned his living by directing a mutual insurance employee benefits program, or in his native Provence, where he spent his vacations.
That said, most poets would be extremely lucky and honored to have nearly all their unpublished and little-known writings gathered by Mercure de France into authoritative volumes such as Les Sandales de paille (The Straw Sandals, 1987) and Le Bonjour et l’adieu (The Good Morning and the Farewell, 1991). There is an inherent logic in Jourdan’s literary destiny. It can be described as a discreet, yet lasting and inspiring, presence in French literature.
Edited by the younger poet, Yves Leclair, these two books are prefaced respectively by Bonnefoy and Jaccottet. The latter volume mostly collects Jourdan’s verse and prose poems, whereas the former comprises — alongside several essential unpublished manuscripts — the three other books that he managed to publish during his lifetime: Fragments (1979), L’Angle mort (The Dead Angle, 1980), and L’Entrée dans le jardin (The Entryway into the Garden, 1981).
The sampling offered here comes from Les Sandales de paille: Notes 1980, a diary-notebook that Jourdan kept during the entire year of 1980 and that eventually gave its title to the first volume of collected writings. Jourdan began a new diary in January 1981, then abruptly ended it in mid-April when he was diagnosed with lung cancer. His final book, L’Approche (The Approach), also a diary-notebook, is a moving testimony. It concludes with a question that the poet formulated a few hours before his death on September 13, 1981 — “Through great rips in the landscape?”
Printed from Cerise Press: http://www.cerisepress.com
Permalink URL: https://www.cerisepress.com/01/02/translators-note-les-sandales-de-paille-the-straw-sandals