« Ici le jour s’accorde... » / "Here the light..."
[d’un cahier daté du 5 août 1955]
ici le jour s’accorde à mon pas.
je glisse à la fois sur la neige du papier
et sur cette terre sèche.
sans avoir encore connu le répit
je débouche toujours au même sommet —
je mets plusieurs semaines à me retrouver à ce sommet.
…
l’air qui nous interrompt
et nous agrandit
une paroi qui naît au contact de l’horizon
et se disperse
comme les quatre murs du jour où je suis enfermé
qui parfois se rejoignent et font une seule paroi devant laquelle
je me retrouve — dehors.
…
Le soir venu, l’embrasure est plus blanche. L’horizon est proche
du seuil de la pièce où je suis perdu.
…
Je ne porte sur le corps que cette lettre à laquelle je tiens et qui
n’a plus de nom — dont il ne reste que le ciel qui sépare les lignes.
…
Si la terre continue de souffler, nous serons nous-mêmes usés.
J’ai connu le jour que rien ne distingue du précédent
et qui pourtant se déchaîne, se dresse comme un mur écrasant,
et se retourne contre nous. Sans que rien au-dehors transparaisse.
Je me répéterai comme la terre qu’on foule.
dans l’éclat d’un jour nouveau
je suis couché dans une longue traînée de cendre — mes doigts
deviennent gris comme des brindilles brûlées, et noirs aux jointures
le vent la fait au début un peu voler autour de moi — puis nous
nous assagissons ensemble.
…
je me résous comme un arbre dans le jour
ce sont mes membres qui se défont
je sais que je marche vers un soir que je porte au creux de la
poitrine
…
Je reviens du fin fond des terres — jusqu’à ces confins — à
l’heure où le jour brûle encore sur les bords —
ou y fait courir un cordon de feu
— ANDRÉ DU BOUCHET, Une lampe dans la lumière aride: Carnets 1949-1955
Édition de Clément Layet (Le bruit du temps, Paris, © 2011, pp. 310-12)
REPRINTED WITH PERMISSION BY ANNE DE STAËL
[from a notebook dated August 5, 1955]
here the light falls in with my step.
I slide on the snow of the paper
just as I slide on this dry earth.
without any respite so far
I always end up at the top
of the same mountain —
I spend several weeks to get there
again.
…
the air cuts us short
and expands us
a barrier born when it touches the horizon
and scatters
like the four walls of day that enclose me
that join sometimes into a single wall in front
of which
I find myself — outside.
…
As evening falls, the doorway whitens. The horizon is close to the threshold
of the room where I am lost.
…
All I carry on my body is this letter I cherish, which no longer has a name —
of which nothing is left but the sky between the lines.
…
If the earth keeps breathing hard, we will wear ourselves out.
I have known a day just like the one before it, but now it rages, towers like a crushing
wall, turning against us. Without anything showing
on the surface.
I will repeat myself like the earth we walk on.
in the burst of a new day
I am lying in a long trail of ash — my fingers
turn gray like burnt twigs, black at the joints —
first the wind swirls it around me a bit — then
we quiet down together.
…
I take a stand like a tree in the light
it’s my limbs that go slack
I know I am walking toward an evening
that I carry in the hollow of my chest
…
I return from the ends of the earth — to this borderland —
at the hour when the edges of day still burn —
or ring it with a cordon of fire.
Printed from Cerise Press: http://www.cerisepress.com
Permalink URL: https://www.cerisepress.com/05/13/here-the-light