Les deux vieilles demoiselles / The Two Old Maids

French

Ah ! quelle douceur sur les choses ! Tout s’allonge, tout s’abandonne, il y a un renoncement. Alors les bruits arrivent de plus loin, ils sont affaiblis et ils cessent. Que le silence est bon à respirer ! Il fait cependant triste pour les âmes toutes seules.

C’est un sentiment mélangé et les demoiselles l’avaient. Elles restaient sur leurs chaises, ayant posé leurs mains sur leurs genoux et ne parlaient pas. Une deuxième étoile vint, une troisième, une quatrième ; puis on ne put plus les compter. Une minute, il fit tout sombre, mais aussitôt après, à cause des étoiles, la lueur reparut, puis une autre lueur comme de la poussière, et tout fut enveloppé.

Cette fois, c’était la lune. Elle s’était levée quelque part à l’horizon ; on ne la voyait pas, on voyait sa lumière. On entendait crier les grillons dans les prés, la nuit était tout amollie, un air tiède passait avec un frissonnement, les demoiselles ne bougeaient pas.

10 heures sonnèrent. Un à un, les coups de la cloche descendirent du clocher et puis le silence revint. Tout à coup, dans le jardin, quelque chose remua. Les feuilles des lilas s’agitèrent. Une ombre glissa sous les branches. Qui est ce que c’était ?

« Mon Dieu ! » pensèrent les demoiselles, « c’est Jeanne Loup. »

On pouvait bien la reconnaître à présent, s’étant avancée hors des arbres. Elle avait peut-être seize ans ; ses jupons descendaient au-dessous du genou, elle avait les cheveux pendants, mais déjà comme à une femme, sa ceinture dessinait la taille. Et les demoiselles se dirent : « Qu’est-ce qu’elle fait là si tard ? »

Tout s’allonge, tout s’abandonne, il y a un renoncement. Alors les bruits arrivent de plus loin, ils sont affaiblis et ils cessent.

Elles le virent bien. Jeanne Loup s’était arrêtée contre la barrière du jardin. De l’autre côté il y avait un verger. Elle attendait. Elle n’attendit pas longtemps. Quelqu’un venait dans le verger.

« Est-ce possible ! c’est Louis Burnier », dit tout haut Mademoiselle Rosalie.

Louis Burnier s’arrêta ; puis, n’apercevant personne, il s’approcha de la barrière. Il portait encore des culottes, c’était aussi presque un enfant. Il tenait à la main un bouquet de fleurs. Quand il fut près de Jeanne, il le lui tendit ; elle le prit ; et puis, par-dessus la clôture, ils s’embrassèrent un long moment.

Mademoiselle Henriette se leva brusquement. Mademoiselle Rosalie regardait toujours. A présent, dans le jardin, ils s’étaient mis à causer. Appuyés sur les barreaux, ils causaient tout près l’un de l’autre. De temps en temps elle branlait la tête ; lui se penchait vers elle ; il rit, elle rit aussi. La lune qui venait brillait sur ses cheveux et sur sa grande collerette. Le lilas balançait ses branches, toutes les étoiles tremblaient.

Mademoiselle Henriette dit :

— Je vais allumer la lampe.

Mademoiselle Rosalie leva la tête, hésita, réfléchit, et répondit enfin :

— Pour quoi faire ?

— Parce que nous devrions être au lit.

Et puis, sa sœur étant sortie, Mademoiselle Rosalie regarda de nouveau dans le jardin ; une voix appelait :

— Jeanne ! Jeanne ! criait-on au loin.

D’abord, Jeanne resta immobile. Soudain, elle fut décidée. La barrière était basse ; elle grimpa dessus. Louis ouvrit les bras ; elle se laissa tomber dedans. Après quoi, la sentant contre lui, il l’avait là, il l’emporta. Un gros pommier pendait d’un côté jusqu’à terre ; ils y seraient cachés ; ce fut là qu’ils s’assirent. Mademoiselle Rosalie pouvait les voir encore.

English

Oh, what softness was on everything! The evening lies down, lets itself go. A renunciation. And then noises come from further away, weaken and disappear. So good to breathe in this silence! Even if it makes lonely souls sad.

It’s a mixed feeling and the ladies felt it. They stayed on their chairs with their hands on their knees and didn’t speak. A second star came out, then a third, a fourth. Then it was impossible to count them. One minute it was all dark, but then the stars made a stream of light appear, then another, like dust, and everything was enveloped.

And then it was the moon. It had risen somewhere on the horizon. It wasn’t visible, only its light. The crickets were chirping in the fields. The night was soft and a warm breeze passed with a shudder. The ladies didn’t move.

10 o’clock rang out. One by one, the sound of the church bells fell down from the tower and then the silence returned. Suddenly, in the garden, something moved about. The leaves of the lilac bush rustled. A shadow slipped between the branches. Who was it?

Goodness, the old ladies thought. That’s Jeanne Loup.

It was easy to recognize her now as she had moved beyond the trees. She was maybe sixteen years old. Her skirts reached below her knees and she had long hair, but she was wearing a belt that drew in her waist like a woman. And the old ladies wondered what she was doing out there so late?

The evening lies down, lets itself go. A renunciation. And then noises come from further away, weaken and disappear.

They had a perfect view. Jeanne Loup had come to a stop against the garden wall. There was an orchard on the other side. She was waiting. She didn’t wait very long. Someone was coming in the orchard.

“It can’t be! It’s Louis Burnier,” Miss Rosalie said out loud.

Louis Burnier stopped, then seeing no one he moved closer to the orchard wall. He still wore short pants; he was also practically still a child. In his hand he held a bouquet of flowers. When he was close to Jeanne, he held them out to her. She took them. And then, over the garden wall, they kissed for a long time.

Miss Henriette stood up abruptly. Miss Rosalie kept watching. Out in the garden, they had begun to speak. Leaning against the wall, they stood close and kept chatting. From time to time she shook her head. He leaned close to her. He laughed. She laughed, too. The moon shone on her hair and her large collar. The branches of the lilac swayed, all the stars trembled.

Miss Henriette said, “I’m going to light the lamp.”

Miss Rosalie raised her head, hesitated, thought a moment and finally said, “Why do that?”

“Because we should be in bed.”

And once her sister had left the room, Miss Rosalie looked again out the window.

From afar a voice called, “Jeanne! Jeanne!”

Jeanne stood still at first. Suddenly, she was decided. The garden wall was low and she climbed onto it. Louis opened his arms, she fell into them. Then, feeling her against him, he held her there; he carried her over the wall. A large apple tree leaned on one side all the way to the ground. They hid behind its branches. That’s where they sat down. Miss Rosalie could still see them.

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