Écrire pour un théâtre de papier — Chantal Dupuy-Dunier / Writing for a Theatre of Paper — French Poet Chantal Dupuy-Dunier
Beaucoup de vos poèmes dans Éphéméride semblent illustrer l’« ars poetica », des poèmes dans lesquels vous explorez ce que cela signifie d’être poète, d’écrire de la poésie dans notre monde moderne, toujours éphémère. Était-ce votre intention lors de l’écriture ?
C’était effectivement l’une de mes intentions, mais j’ai toujours eu cette préoccupation, dans tous mes recueils comme dans Éphéméride. Ces interrogations sur l’écriture et la place du poète surtout, comme vous le soulignez, « dans notre monde moderne », sont permanentes pour la poétesse que je suis. Elles sont à mes yeux indissociables de l’acte d’écrire.
J’ai profondément, presque viscéralement, conscience que mes écrits sont éphémères. Un jour, il n’en restera rien. La langue se sera encore transformée.
J’aime aussi que vous utilisiez le mot « éphémère » dans votre question car il est sous-jacent dans Éphéméride. J’ai profondément, presque viscéralement, conscience que mes écrits sont éphémères. Un jour, il n’en restera rien. La langue se sera encore transformée. Si mes poèmes étaient toujours présents dans 400 ans, on ne les comprendrait même plus. D’ailleurs, un jour la civilisation à laquelle nous appartenons disparaîtra comme toutes les autres ont disparu. Avoir la vision de cela m’aide à relativiser bien des choses. L’accepter n’est pas désespérant, au contraire, cela confère de la grandeur à l’acte éphémère de vivre et d’écrire. Cela lui donne un sens au sein du non-sens.
Ce qui compte, ce sont les traces laissées par les civilisations disparues, fondations des civilisations futures. Ce qui compte, ce sont les nouveaux poètes qui adviendront, qui auront lu quelques anciens, ainsi de suite… La pyramide collective de la Poésie.
En écrivant sur la violence et la guerre, vous avez souvent abordé le sujet d’un point de vue ironique, des fois sarcastique : « L’arc de triomphe » de votre chaise dans « 14 juillet » ; les deux garçons qui jouent avec des épées dans « 7 août ». Dans « 6 août », l’anniversaire du bombardement d’Hiroshima, vous notez : « Je continue à écrire, / pour un théâtre de papier. » De quoi s’agit-il ce « théâtre de papier » ? Comment est-il lié à l’importance de l’écriture sur la violence humaine et la guerre ?
Je trouve cette question très pertinente et originale. Vous avez tout à fait raison. Lorsque j’écris sur la guerre, j’essaye d’adopter une écriture aussi violente que le sujet. Les mots peuvent être tranchants, acérés…
L’ironie est une forme d’humour extrême, qui comporte aussi une certaine violence (on parle d’une « ironie mordante », ce n’est pas pour rien). Il s’agit d’une arme. Pour moi, face aux grands drames de l’existence, collectifs comme les guerres ou individuels comme la mort, l’ironie est la seule façon de ne pas sombrer dans le désespoir. Désespoir devant mon impuissance à empêcher les guerres. J’ai beau être pacifiste dans l’âme, je sais que les conflits armés continueront car la nature humaine demeure ce qu’elle est et que de trop puissants intérêts priment sur les sentiments humanistes.
Chaque jour de ma vie, j’exerce ce droit qui reste à l’homme jeté dans la terrible aventure de vivre : rire. Je pratique volontiers un humour noir, british, décalé.
Quel est ce théâtre de papier dont je parle ? Le théâtre de papier est une forme théâtrale existante. Créé en Angleterre au XIXe siècle, ce théâtre miniaturisé tient sur une table et ses décors, personnages, sont en carton ou en papier. C’est aussi sur une scène de papier que se joue l’écriture. Le papier semble un matériau fragile, cependant il est le support de l’écrit, même si les poèmes ne suffisent pas à changer le monde comme je le croyais quand j’étais adolescente.
Many of your poems in Éphéméride seem like “ars poetica,” poems in which you explore what it means to be a poet, to write a poem, in our modern, always ephemeral world. Was that your intention when writing the book?
It actually was one of my intentions, but it’s really always been one of my concerns in each of my collections, including Éphéméride. These questions about writing and the place of the poet, especially, as you point out, “in our modern world,” are permanent for the poet I am. For me, they are inseparable from the act of writing.
I’m deeply, almost viscerally, aware that my writings are ephemeral. One day, nothing will remain. The language will again be transformed.
I also love that you use the word “ephemeral” in your question because it underlies Éphéméride. I’m deeply, almost viscerally, aware that my writings are ephemeral. One day, nothing will remain. The language will again be transformed. If my poems were to still be around in 400 years, nobody would even be able to understand them. Moreover, one day the civilization to which we belong will disappear, just as all the others have disappeared. Having this perspective helps me a lot. The acceptance that comes from this understanding does not make me hopeless, however; it gives grandeur to the ephemeral act of living and writing. It gives it sense within the larger nonsense.
What counts are the traces left by vanished civilizations, which are the foundations of future civilizations. What counts are the new poets to come who will have read a few of the past poets, and from that… the collective pyramid of Poetry.
When writing about violence and war, you often approach the subject from a place of irony—almost sarcasm. “The Arc de triomphe” of your chair in “July 14,” your poem on the anniversary of Bastille Day. The two boys who play with swords in “August 7.” In “August 2,” the anniversary of the bombing of Hiroshima, you write, “I continue to write / for a theater of paper.” What is this theater of paper, and how does it relate to the importance of writing about human violence and war?
I find this question very relevant and original. You are quite right. When I write about war, I try to adopt a writing style as violent as the subject. Words can be sharp, scathing …
Irony is a form of extreme humor, which also includes some violence (we speak of an “ironie mordante” [“scathing irony”] for this reason). It is a weapon. For me, when facing the great tragedies of life — collective ones, such as war, or individual ones, such as death — irony is the only way not to sink into despair. Despair at my inability to prevent wars. No matter how deeply I’m a pacifist at heart, I know that armed conflicts continue because human nature remains what it is, and too-powerful interests prevail over humanistic sentiments.
Every day of my life, I exercise this right that rests with every person thrown into the terrible adventure of living: laughter. I willingly practice black humor that is somewhat British, quirky.
What is the “theater of paper” I speak of? The paper theater is a theatrical form that actually exists. Created in England in the nineteenth century, a miniature model of a theater sits on a table, and its sets and characters are made out of cardboard or paper. It is also on a paper stage that writing plays out. Paper seems a fragile material, but it supports the act and markings of writing — even if poems are not enough to change the world, as I thought when I was a teenager.
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